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22 janvier 2015
La grande manifestation « Je suis Charlie » a été célébrée par l’ensemble de nos médias, par le gouvernement et par la quasi-majorité de la classe politique comme symbole d’une « unité nationale » présentée comme nécessaire face à la menace « terroriste ». Elle a également été mise en scène comme exemple d’une unité internationale contre ce même « terrorisme ». Les quelques voix discordantes appelant à s’intéresser aux causes, aux enjeux et aux conséquences prévisibles de cette injonction à l’unanimisme émotif ont été réduites à un soutien aux « terroristes » dans un raisonnement binaire martelé à longueur de journée : si tu n’es pas Charlie, tu soutiens les attentats. Les graines semées par cette « unité nationale » commencent à donner leurs fruits amers et empoisonnés. Le temps du premier bilan est arrivé.
A la fin, nous nous souviendrons non pas des mots de nos ennemis, mais des silences de nos amis.
Martin Luther King
Une légitimation renforcée des guerres
Toutes les puissances de l’OTAN ainsi que leurs alliés étaient représentés dans la manifestation « Je suis Charlie » du 11 janvier 2015. Comprendre la signification et la fonction de cette photo de famille suppose de prendre en compte le contexte mondial et ses rapports de force.
Les guerres impérialistes pour le pétrole, pour les minerais stratégiques et l’affaiblissement des puissances émergentes se multiplient depuis plusieurs décennies. Guerres de pillages dont le seul but est le surprofit, les aventures militaires ne peuvent pas se présenter comme telles. Elles nécessitent pour se déployer sans résistance d’êtres fardées en « guerres justes » : contre l’obscurantisme et le terrorisme, pour l’émancipation des femmes, pour la défense d’une minorité opprimée, contre le génocide, etc. L’islamophobie est un des ingrédients idéologiques diffusés au moins depuis les attentats du 11 septembre 2001 pour préparer un « arôme idéologique immédiat (1) » favorable à la guerre.
La négrophobie (2) est un autre ingrédient correspondant aux nouvelles découvertes de pétrole, de gaz et de minerais qui se sont multipliées ces dernières années en Afrique s’ajoutant aux gisements déjà connus de ce continent surnommé « le scandale géologique (3) ».
La France est particulièrement engagée dans toutes les agressions impérialistes de ces dernières années. De l’Afghanistan à la Syrie en passant par l’Irak, du Mali à la Centrafrique en passant par la Lybie, l’armée française semble ne vouloir rater aucune guerre d’agression. La pression idéologique islamophobe et négrophobe y est d’autant plus forte qu’est important le besoin de légitimation d’interventions militaires dans des pays africains et/ou « musulmans ».
Le site de la Direction de l’information légale et administrative donne lui-même les données quantitatives suivantes :
La France est intervenue militairement à près de quarante reprises sur le sol africain dans les cinquante dernières années et une vingtaine de fois entre 1981 et 1995 sous les deux septennats de François Mitterrand. Certaines de ces opérations n’ont duré que quelques jours, d’autres ont donné lieu à des déploiements beaucoup plus longs (opérations Manta et Epervier au Tchad, par exemple). (4)
A ces chiffres ne concernant que l’Afrique il faut ajouter le Liban (1983), l’Irak (1990), la Bosnie (1992), le Kossovo (1999), l’Afghanistan (2001), la Syrie (2014), etc. Les interventions militaires françaises à l’étranger s’inscrivent elles-mêmes dans une stratégie globale de l’OTAN. Cette stratégie est définie dans un document intitulé « concept stratégique ». La dernière version de ce concept en 2010 comprend la capacité à intervenir sur plusieurs terrains simultanément, l’inclusion de l’Europe de l’Est dans les zones à surveiller, la possibilité d’une guerre nucléaire « limitée » et le « partage du fardeau stratégique » : « C’est l’esprit même du nouveau concept stratégique de l’OTAN que de sommer en quelque sorte les Européens de définir la nature et l’ampleur des obligations qu’ils sont prêts à assumer dans son cadre (5) ».
La multiplication des interventions militaires européennes en général et française en particulier s’inscrit dans le cadre nouvelle stratégie de l’OTAN.
Mais la séquence historique que nous vivons au niveau mondial est aussi celle des obstacles à la prise de contrôle états-unienne du monde. Ces obstacles sont certes de natures très différentes mais convergent pour mettre en difficulté le « nouvel ordre mondial » que « l’Occident » tente d’imposer au reste du monde et même à ses propres peuples. Partout les agressions militaires et les chantages à la guerre ou à la sanction économique piétinent. L’ALBA en Amérique du Sud expérimente de nouvelles solidarités et cohérence régionale permettant de desserrer l’étau du système capitaliste mondial. La Russie et la Chine freinent par leurs positions à l’ONU les tentatives de couvrir les agressions militaires d’une légitimité internationale. Les guerres menées font apparaître de plus en plus nettement leur seul résultat : le chaos.
L’instrumentalisation de l’émotion par le discours de « l’unité nationale » pour l’interne et de la « guerre mondiale contre le terrorisme » pour l’externe ont dans ce contexte un double objectif : Annoncer de nouvelles guerres impérialistes d’une part et légitimer celles-ci aux yeux des peuples et du peuple français en particulier. Il s’agit de remobiliser et de ressouder un camp, de lui donner une légitimité populaire, de le rassembler pour de nouvelles guerres.
C’est ainsi par 488 voix contre 1 que l’assemblée nationale approuve la prolongation des frappes aériennes françaises en Irak le 13 janvier. Le Sénat va dans le même sens le même jour par 327 voix et 19 abstentions. Le premier fruit amer de l’unité nationale c’est la guerre. Hier comme aujourd’hui, en 1914 ou en 2015, l’Union sacrée a toujours le même goût de guerre.
Les guerres impérialistes pour le pétrole, pour les minerais stratégiques et l’affaiblissement des puissances émergentes se multiplient depuis plusieurs décennies. Guerres de pillages dont le seul but est le surprofit, les aventures militaires ne peuvent pas se présenter comme telles. Elles nécessitent pour se déployer sans résistance d’êtres fardées en « guerres justes » : contre l’obscurantisme et le terrorisme, pour l’émancipation des femmes, pour la défense d’une minorité opprimée, contre le génocide, etc. L’islamophobie est un des ingrédients idéologiques diffusés au moins depuis les attentats du 11 septembre 2001 pour préparer un « arôme idéologique immédiat (1) » favorable à la guerre.
La négrophobie (2) est un autre ingrédient correspondant aux nouvelles découvertes de pétrole, de gaz et de minerais qui se sont multipliées ces dernières années en Afrique s’ajoutant aux gisements déjà connus de ce continent surnommé « le scandale géologique (3) ».
La France est particulièrement engagée dans toutes les agressions impérialistes de ces dernières années. De l’Afghanistan à la Syrie en passant par l’Irak, du Mali à la Centrafrique en passant par la Lybie, l’armée française semble ne vouloir rater aucune guerre d’agression. La pression idéologique islamophobe et négrophobe y est d’autant plus forte qu’est important le besoin de légitimation d’interventions militaires dans des pays africains et/ou « musulmans ».
Le site de la Direction de l’information légale et administrative donne lui-même les données quantitatives suivantes :
La France est intervenue militairement à près de quarante reprises sur le sol africain dans les cinquante dernières années et une vingtaine de fois entre 1981 et 1995 sous les deux septennats de François Mitterrand. Certaines de ces opérations n’ont duré que quelques jours, d’autres ont donné lieu à des déploiements beaucoup plus longs (opérations Manta et Epervier au Tchad, par exemple). (4)
A ces chiffres ne concernant que l’Afrique il faut ajouter le Liban (1983), l’Irak (1990), la Bosnie (1992), le Kossovo (1999), l’Afghanistan (2001), la Syrie (2014), etc. Les interventions militaires françaises à l’étranger s’inscrivent elles-mêmes dans une stratégie globale de l’OTAN. Cette stratégie est définie dans un document intitulé « concept stratégique ». La dernière version de ce concept en 2010 comprend la capacité à intervenir sur plusieurs terrains simultanément, l’inclusion de l’Europe de l’Est dans les zones à surveiller, la possibilité d’une guerre nucléaire « limitée » et le « partage du fardeau stratégique » : « C’est l’esprit même du nouveau concept stratégique de l’OTAN que de sommer en quelque sorte les Européens de définir la nature et l’ampleur des obligations qu’ils sont prêts à assumer dans son cadre (5) ».
La multiplication des interventions militaires européennes en général et française en particulier s’inscrit dans le cadre nouvelle stratégie de l’OTAN.
Mais la séquence historique que nous vivons au niveau mondial est aussi celle des obstacles à la prise de contrôle états-unienne du monde. Ces obstacles sont certes de natures très différentes mais convergent pour mettre en difficulté le « nouvel ordre mondial » que « l’Occident » tente d’imposer au reste du monde et même à ses propres peuples. Partout les agressions militaires et les chantages à la guerre ou à la sanction économique piétinent. L’ALBA en Amérique du Sud expérimente de nouvelles solidarités et cohérence régionale permettant de desserrer l’étau du système capitaliste mondial. La Russie et la Chine freinent par leurs positions à l’ONU les tentatives de couvrir les agressions militaires d’une légitimité internationale. Les guerres menées font apparaître de plus en plus nettement leur seul résultat : le chaos.
L’instrumentalisation de l’émotion par le discours de « l’unité nationale » pour l’interne et de la « guerre mondiale contre le terrorisme » pour l’externe ont dans ce contexte un double objectif : Annoncer de nouvelles guerres impérialistes d’une part et légitimer celles-ci aux yeux des peuples et du peuple français en particulier. Il s’agit de remobiliser et de ressouder un camp, de lui donner une légitimité populaire, de le rassembler pour de nouvelles guerres.
C’est ainsi par 488 voix contre 1 que l’assemblée nationale approuve la prolongation des frappes aériennes françaises en Irak le 13 janvier. Le Sénat va dans le même sens le même jour par 327 voix et 19 abstentions. Le premier fruit amer de l’unité nationale c’est la guerre. Hier comme aujourd’hui, en 1914 ou en 2015, l’Union sacrée a toujours le même goût de guerre.
Réhabiliter des alliés assassins
Mais la grande instrumentalisation de l’émotion a aussi été l’occasion de renforcer les liens avec les « amis de l’Occident » et de réhabiliter ceux qui ont été discrédités aux yeux de l’opinion publique par leurs crimes. Citons les deux exemples démentant les discours d’une mobilisation pour la liberté d’expression et contre le terrorisme.
L’Etat d’Israël est représenté par trois ministres : le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, le ministre des affaires étrangère Avigdor Lieberman et le ministre de l’économie Naftali Bennett. Après les massacres de palestiniens par un terrorisme d’Etat cet été, cette présence sonne comme une provocation pour les dizaines de milliers de manifestants français qui ont apporté leur soutien au peuple palestinien dans des manifestations quasi-quotidiennes. « La présence de ces ministres, résume le journaliste Alain Gresh, est une insulte à toutes les valeurs dont prétendent se parer les organisateurs de la manifestation, un hold-up qu’il est important de dénoncer (6) ».
Faut-il encore rappeler que 17 journalistes ont été tués cet été dans les bombardements sionistes sur la bande de Gaza ? Rappelons encore l’expulsion d’Israël du journaliste français Maximilien Le Roy, alors qu’il se rendait à un festival de Bandes Dessinées, en raison de ses dessins jugés pro-palestiniens :
Ils m’ont expliqué, pour conclure, que si je pouvais critiquer Israël dans mon pays, je n’aurais plus le droit de le faire sur leur territoire. Je savais dès les premières minutes qu’ils allaient m’expulser, mais je ne -m’attendais pas à une interdiction de séjour de dix ans. Ils m’ont traité comme si j’étais un terroriste (7).
La « démocratique » Arabie Saoudite était également Charlie le 11 janvier dernier par la présence à la manifestation de son ministre des affaires étrangères Nizar al-Madani. Deux jours plus tôt, le bloggeur saoudien Raïf Badawi recevait ses 50 premiers coups de fouets. Il est en effet condamné à 10 ans de prison et 1000 coups de fouets (50 tous les vendredis) pour avoir critiqué les dignitaires religieux du royaume. Les alliés du nouvel ordre mondial sont trop importants pour sa sauvegarde. Ils peuvent continuer à bafouer sans aucune crainte la liberté d’expression et financer des groupes qui déstabilisent les Etats voisins en couvrant leur agression du nom de l’Islam. Ces deux exemples suffisent pour démasquer l’hypocrisie en matière de liberté d’expression. Celle-ci n’est défendue que quand elle sert les intérêts des dominants et elle est oubliée dès qu’elle les remet en cause.
La réhabilitation des assassins et des financeurs de la mort, tel est le second fruit empoisonné de l’union sacrée qu’a tentée de construire l’instrumentalisation étatique de l’émotion.
L’Etat d’Israël est représenté par trois ministres : le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, le ministre des affaires étrangère Avigdor Lieberman et le ministre de l’économie Naftali Bennett. Après les massacres de palestiniens par un terrorisme d’Etat cet été, cette présence sonne comme une provocation pour les dizaines de milliers de manifestants français qui ont apporté leur soutien au peuple palestinien dans des manifestations quasi-quotidiennes. « La présence de ces ministres, résume le journaliste Alain Gresh, est une insulte à toutes les valeurs dont prétendent se parer les organisateurs de la manifestation, un hold-up qu’il est important de dénoncer (6) ».
Faut-il encore rappeler que 17 journalistes ont été tués cet été dans les bombardements sionistes sur la bande de Gaza ? Rappelons encore l’expulsion d’Israël du journaliste français Maximilien Le Roy, alors qu’il se rendait à un festival de Bandes Dessinées, en raison de ses dessins jugés pro-palestiniens :
Ils m’ont expliqué, pour conclure, que si je pouvais critiquer Israël dans mon pays, je n’aurais plus le droit de le faire sur leur territoire. Je savais dès les premières minutes qu’ils allaient m’expulser, mais je ne -m’attendais pas à une interdiction de séjour de dix ans. Ils m’ont traité comme si j’étais un terroriste (7).
La « démocratique » Arabie Saoudite était également Charlie le 11 janvier dernier par la présence à la manifestation de son ministre des affaires étrangères Nizar al-Madani. Deux jours plus tôt, le bloggeur saoudien Raïf Badawi recevait ses 50 premiers coups de fouets. Il est en effet condamné à 10 ans de prison et 1000 coups de fouets (50 tous les vendredis) pour avoir critiqué les dignitaires religieux du royaume. Les alliés du nouvel ordre mondial sont trop importants pour sa sauvegarde. Ils peuvent continuer à bafouer sans aucune crainte la liberté d’expression et financer des groupes qui déstabilisent les Etats voisins en couvrant leur agression du nom de l’Islam. Ces deux exemples suffisent pour démasquer l’hypocrisie en matière de liberté d’expression. Celle-ci n’est défendue que quand elle sert les intérêts des dominants et elle est oubliée dès qu’elle les remet en cause.
La réhabilitation des assassins et des financeurs de la mort, tel est le second fruit empoisonné de l’union sacrée qu’a tentée de construire l’instrumentalisation étatique de l’émotion.
La peur
Abordons maintenant les effets de « l’unité nationale » sur le territoire français. Le premier est évident : l’instauration d’un climat de peur porteur de tous les dangers. La couverture médiatique sous la forme d’une « information haletante, sommaire et invérifiée » fondée sur le « principe d’une amnésie récidivante (8) » pose les bases d’un climat anxiogène.
La prégnance du vocabulaire de guerre (du « Oui nous sommes en guerre (9) » de Valls au « la guerre a été déclarée à la France » de Sarkozy ) (10) dans les prises de positions politiques relayées par les journalistes, experts et chroniqueurs divers, renforce ce climat.
Le déploiement de 10 000 soldats à grand renfort de publicité médiatique enracine l’idée d’un danger permanent et omniprésent. La thèse d’une absence de frontière entre le terrain extérieur d’opération et le terrain intérieur développée par le ministre de la défense parachève la surenchère verbale guerrière productrice d’une peur sociale généralisée :
C’est une véritable opération intérieure. Il y a les opérations extérieures qui se poursuivent, et c’est une opération intérieure qui va mobiliser 10.000 hommes, c’est-à-dire à peu près autant que ce qui mobilise aujourd’hui nos opérations extérieures (11).
Or que produit le discours de guerre que nos politiques n’ont pas hésité à utiliser aussi fortement : Une mise en guerre déclenche un discours simplifié ami-ennemi – ennemi de l’extérieur et ennemi de l’intérieur – la menace engendre la peur, la peur la haine, la haine pousse à l’action préventive. Les solidarités se resserrent : union et exclusion (12).
Il n’est dès lors pas étonnant que le discours de guerre débouche logiquement sur la multiplication des actes islamophobes qui se sont rapidement comptés par dizaines en quelques jours. « Quelque 116 actes anti-musulmans ont été recensés en quinze jours (13) » évalue le journal Libération. Le chiffre réel est, bien entendu, beaucoup plus important. De nombreux actes ne sont en effet pas signalés dans le contexte délétère actuel. Il ne faut pas s’étonner dès lors qu’un climat de peur s’empare des populations issues de l’immigration postcoloniale. Cette peur n’est pas irrationnelle mais s’explique par la multitude des petits actes d’agressivité subis dans la quotidienneté qui s’ajoutent aux agressions ouvertes recensées ci-dessus : propos racistes, silence et atmosphère tendus dans les transports en commun, etc.
Les femmes portant un foulard sont encore plus touchées par cette peur envahissante. Ayant le 15 janvier une journée de travail avec un groupe de femmes maghrébines et noires de Blancs Mesnil, nous avons, nous mêmes, été effarés par le nombre de témoignages des agressions verbales et des comportements de rejet qu’exposaient ces trente femmes. Si les réactions sont diverses, une part importante de celles-ci sont d’ores et déjà lourdes de conséquences : « je ne sors plus de chez moi ou juste pour faire les courses », « pour la première fois je pense à enlever mon foulard car j’ai peur », « je ne laisse plus sortir ma fille, j’ai peur pour elle », etc.
A l’origine de cette hausse des actes islamophobes et de la peur qu’elle suscite se trouve un certain nombre de thématiques récurrentes des médias et des discours politiques. Dans une France qui connaissait déjà une montée régulière de l’islamophobie depuis près de deux décennies, il est irresponsable de multiplier les propos : sur l’islam et « son lien ou non avec le terrorisme », sur « la moindre présence de certains aux manifestions du « Je suis Charlie » », sur « le soi-disant silence de certaines populations à l’égard des attentats », etc.
La montée importante des violences islamophobes directes ou indirectes est le troisième fruit pourri de l’instrumentalisation politique et médiatique de l’émotion.
La prégnance du vocabulaire de guerre (du « Oui nous sommes en guerre (9) » de Valls au « la guerre a été déclarée à la France » de Sarkozy ) (10) dans les prises de positions politiques relayées par les journalistes, experts et chroniqueurs divers, renforce ce climat.
Le déploiement de 10 000 soldats à grand renfort de publicité médiatique enracine l’idée d’un danger permanent et omniprésent. La thèse d’une absence de frontière entre le terrain extérieur d’opération et le terrain intérieur développée par le ministre de la défense parachève la surenchère verbale guerrière productrice d’une peur sociale généralisée :
C’est une véritable opération intérieure. Il y a les opérations extérieures qui se poursuivent, et c’est une opération intérieure qui va mobiliser 10.000 hommes, c’est-à-dire à peu près autant que ce qui mobilise aujourd’hui nos opérations extérieures (11).
Or que produit le discours de guerre que nos politiques n’ont pas hésité à utiliser aussi fortement : Une mise en guerre déclenche un discours simplifié ami-ennemi – ennemi de l’extérieur et ennemi de l’intérieur – la menace engendre la peur, la peur la haine, la haine pousse à l’action préventive. Les solidarités se resserrent : union et exclusion (12).
Il n’est dès lors pas étonnant que le discours de guerre débouche logiquement sur la multiplication des actes islamophobes qui se sont rapidement comptés par dizaines en quelques jours. « Quelque 116 actes anti-musulmans ont été recensés en quinze jours (13) » évalue le journal Libération. Le chiffre réel est, bien entendu, beaucoup plus important. De nombreux actes ne sont en effet pas signalés dans le contexte délétère actuel. Il ne faut pas s’étonner dès lors qu’un climat de peur s’empare des populations issues de l’immigration postcoloniale. Cette peur n’est pas irrationnelle mais s’explique par la multitude des petits actes d’agressivité subis dans la quotidienneté qui s’ajoutent aux agressions ouvertes recensées ci-dessus : propos racistes, silence et atmosphère tendus dans les transports en commun, etc.
Les femmes portant un foulard sont encore plus touchées par cette peur envahissante. Ayant le 15 janvier une journée de travail avec un groupe de femmes maghrébines et noires de Blancs Mesnil, nous avons, nous mêmes, été effarés par le nombre de témoignages des agressions verbales et des comportements de rejet qu’exposaient ces trente femmes. Si les réactions sont diverses, une part importante de celles-ci sont d’ores et déjà lourdes de conséquences : « je ne sors plus de chez moi ou juste pour faire les courses », « pour la première fois je pense à enlever mon foulard car j’ai peur », « je ne laisse plus sortir ma fille, j’ai peur pour elle », etc.
A l’origine de cette hausse des actes islamophobes et de la peur qu’elle suscite se trouve un certain nombre de thématiques récurrentes des médias et des discours politiques. Dans une France qui connaissait déjà une montée régulière de l’islamophobie depuis près de deux décennies, il est irresponsable de multiplier les propos : sur l’islam et « son lien ou non avec le terrorisme », sur « la moindre présence de certains aux manifestions du « Je suis Charlie » », sur « le soi-disant silence de certaines populations à l’égard des attentats », etc.
La montée importante des violences islamophobes directes ou indirectes est le troisième fruit pourri de l’instrumentalisation politique et médiatique de l’émotion.
L’humiliation
Cette peur s’accompagne souvent d’un sentiment d’humiliation c’est-à-dire de « la perception d’un décalage entre la place revendiquée au nom de la qualité d’égal et la place à laquelle l’on est rabaissé (14) ». L’humiliation en tant que rabaissement de l’être humain attentant à sa dignité est lourde de conséquences. Le terme arabe de « Hoggra » est quotidiennement utilisé dans les conversations familiales et amicales. Nous l’avons également fréquemment rencontré dans les réunions que nous avons eues cette semaine avec plusieurs collectifs dans des quartiers populaires. Voici la définition que nous en donnions déjà en 2000 pour restituer le vécu de nombreux jeunes des classes populaires : « Ce terme employé par les jeunes exprime un mélange de négation de la réalité vécue, une impression d’être méprisé et rabaissé volontairement et une discrimination vécue comme permanente (15) ».
Exagérons nous ?
Humiliation lorsqu’on envisage de retirer un foulard uniquement par la peur suscitée par la multiplication rapide des actes islamophobes ?
Humiliation lorsque l’on reçoit une injonction permanente à se « démarquer des attentats » ?
Humiliation lorsqu’un élève se fait exclure d’une classe parce qu’il ne veut pas être Charlie ?
Humiliation lorsqu’on refuse même d’écouter les raisons qu’invoque cet élève pour justifier son opinion ?
Humiliation lorsqu’on se fait arracher son foulard dans la rue devant des passants indifférents ?
Bien sûr, certains pourront toujours crier à la victimisation. Bien entendu, des « experts » pourront débattre à longueur d’antenne pour présenter ces humiliations comme anodines et secondaires. A l’évidence d’autres chroniqueurs y verront le signe d’une paranoïa sans aucune base objective. Il reste que, quand un sentiment subjectif est autant partagé, il mérite au moins une interrogation critique c’est-à-dire exactement l’inverse de ce que propose notre ministre de l’éducation nationale. Celle-ci considère comme « insupportable » les réactions d’une partie des élèves à l’injonction étatique à s’émouvoir :
Même là où il n’y a pas eu d’incidents, il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves. Et nous avons tous entendu les « Oui je soutiens Charlie mais », les « deux poids, deux mesures », les « pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ? » Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école, qui est chargée de transmettre des valeurs (16).
Et nous qui pensions que l’école apprenait à nos enfants le débat contradictoire, la pensée critique, l’argumentation et le libre arbitre. Non, la réponse s’oriente vers la répression plutôt que la réfutation, vers le silence imposé plutôt que l’argumentation, vers l’exclusion plutôt que le débat contradictoire. Exprimant explicitement le sous-entendu de cette logique répressive, la journaliste Nathalie Saint-Cricq déclare sur France 2 : « il faut repérer et traiter ceux qui ne sont pas Charlie (17) ».
Mais à quoi mènent donc la peur, l’humiliation et le déni de parole ? D’abord à de la violence contre soi, ensuite tôt ou tard à une externalisation de cette violence. Tous les silences qui se font sur ce traitement des conduites des élèves renforcent les sentiments d’isolement et d’injustice sur lesquels peuvent émerger des conduites nihilistes allant de la destruction de soi ou des proches, aux révoltes collectives de quartiers en passant pour une infime minorité par le basculement vers les attentats.
Exagérons nous ?
Humiliation lorsqu’on envisage de retirer un foulard uniquement par la peur suscitée par la multiplication rapide des actes islamophobes ?
Humiliation lorsque l’on reçoit une injonction permanente à se « démarquer des attentats » ?
Humiliation lorsqu’un élève se fait exclure d’une classe parce qu’il ne veut pas être Charlie ?
Humiliation lorsqu’on refuse même d’écouter les raisons qu’invoque cet élève pour justifier son opinion ?
Humiliation lorsqu’on se fait arracher son foulard dans la rue devant des passants indifférents ?
Bien sûr, certains pourront toujours crier à la victimisation. Bien entendu, des « experts » pourront débattre à longueur d’antenne pour présenter ces humiliations comme anodines et secondaires. A l’évidence d’autres chroniqueurs y verront le signe d’une paranoïa sans aucune base objective. Il reste que, quand un sentiment subjectif est autant partagé, il mérite au moins une interrogation critique c’est-à-dire exactement l’inverse de ce que propose notre ministre de l’éducation nationale. Celle-ci considère comme « insupportable » les réactions d’une partie des élèves à l’injonction étatique à s’émouvoir :
Même là où il n’y a pas eu d’incidents, il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves. Et nous avons tous entendu les « Oui je soutiens Charlie mais », les « deux poids, deux mesures », les « pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ? » Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école, qui est chargée de transmettre des valeurs (16).
Et nous qui pensions que l’école apprenait à nos enfants le débat contradictoire, la pensée critique, l’argumentation et le libre arbitre. Non, la réponse s’oriente vers la répression plutôt que la réfutation, vers le silence imposé plutôt que l’argumentation, vers l’exclusion plutôt que le débat contradictoire. Exprimant explicitement le sous-entendu de cette logique répressive, la journaliste Nathalie Saint-Cricq déclare sur France 2 : « il faut repérer et traiter ceux qui ne sont pas Charlie (17) ».
Mais à quoi mènent donc la peur, l’humiliation et le déni de parole ? D’abord à de la violence contre soi, ensuite tôt ou tard à une externalisation de cette violence. Tous les silences qui se font sur ce traitement des conduites des élèves renforcent les sentiments d’isolement et d’injustice sur lesquels peuvent émerger des conduites nihilistes allant de la destruction de soi ou des proches, aux révoltes collectives de quartiers en passant pour une infime minorité par le basculement vers les attentats.
La création des conditions d’une hausse des conduites nihilistes, tel est un autre fruit dangereux du contexte actuel.
Une répression « Hystérisée »
Nous empruntons le terme « hystérisé » au syndicat de la magistrature qui tire le bilan suivant des deux dernières semaines :
C’est ainsi que depuis quelques jours s’enchaînent les procédures expédiées, où l’on a examiné et jugé le contexte, à peine les circonstances des faits, si peu l’homme, poursuivi pour avoir fait l’apologie du terrorisme. Non pas pour avoir organisé une manifestation de soutien aux auteurs des attentats, élaboré et diffusé à grande échelle des argumentaires, pris part à des réseaux, mais pour des vociférations, lancées sous le coup de l’ivresse ou de l’emportement : en fait, des formes tristement actualisées de l’outrage. Les lourdes condamnations pleuvent, assorties d’incarcérations à l’audience. Telle est la désastreuse justice produite par le recours à la comparution immédiate dont la loi du 13 novembre 2014 a fait une nouvelle arme de lutte contre le terrorisme. Comme si la justice pénale, devenue l’exutoire de la condamnation morale, pouvait faire l’économie d’un discernement plus que jamais nécessaire en ces temps troublés. Comme si certains de ses acteurs avaient brutalement oublié qu’elle doit être rendue avec recul, sur la base d’enquêtes approfondies, en se gardant des amalgames - entretenus jusque dans cette circulaire, qui englobe violences urbaines et apologie du terrorisme - et, surtout, des réactions hystérisées qui la délégitiment et la société avec elle (18).
C’est ainsi que depuis quelques jours s’enchaînent les procédures expédiées, où l’on a examiné et jugé le contexte, à peine les circonstances des faits, si peu l’homme, poursuivi pour avoir fait l’apologie du terrorisme. Non pas pour avoir organisé une manifestation de soutien aux auteurs des attentats, élaboré et diffusé à grande échelle des argumentaires, pris part à des réseaux, mais pour des vociférations, lancées sous le coup de l’ivresse ou de l’emportement : en fait, des formes tristement actualisées de l’outrage. Les lourdes condamnations pleuvent, assorties d’incarcérations à l’audience. Telle est la désastreuse justice produite par le recours à la comparution immédiate dont la loi du 13 novembre 2014 a fait une nouvelle arme de lutte contre le terrorisme. Comme si la justice pénale, devenue l’exutoire de la condamnation morale, pouvait faire l’économie d’un discernement plus que jamais nécessaire en ces temps troublés. Comme si certains de ses acteurs avaient brutalement oublié qu’elle doit être rendue avec recul, sur la base d’enquêtes approfondies, en se gardant des amalgames - entretenus jusque dans cette circulaire, qui englobe violences urbaines et apologie du terrorisme - et, surtout, des réactions hystérisées qui la délégitiment et la société avec elle (18).
Les chiffres officiels de la chancellerie communiqués le 20 janvier nous donne ainsi les informations suivantes : 251 procédures depuis le 7 janvier, dont 117 pour « apologie de terrorisme, 77 jugements en comparution immédiate, 39 condamnations dont 28 à des peines de prison ferme dont 20 avec mandat de dépôt à l’audience, 22 autres convocations devant le tribunal correctionnel (19).
Le syndicat de la magistrature a raison de parler de la dérive d’une « justice de l’urgence ». Nous habituer, nous acclimater, nous accoutumer à un recul des libertés démocratiques au prétexte d’assurer notre sécurité, tel est le seul résultat possible de telles pratiques.
Déjà l’on nous annonce de nouvelles lois prises au nom de notre sécurité alors qu’une loi dite de « lutte contre le terrorisme » était déjà adoptée à l’automne dernier. Depuis 1986, ce sont ainsi 14 lois visant à nous protéger qui ont été votées. Nous y reviendrons ultérieurement mais nous pouvons d’ores et déjà goûter à un autre fruit amer de l’unité nationale : la création des conditions d’un consentement majoritaire à la remise en cause des libertés démocratiques.
Le syndicat de la magistrature a raison de parler de la dérive d’une « justice de l’urgence ». Nous habituer, nous acclimater, nous accoutumer à un recul des libertés démocratiques au prétexte d’assurer notre sécurité, tel est le seul résultat possible de telles pratiques.
Déjà l’on nous annonce de nouvelles lois prises au nom de notre sécurité alors qu’une loi dite de « lutte contre le terrorisme » était déjà adoptée à l’automne dernier. Depuis 1986, ce sont ainsi 14 lois visant à nous protéger qui ont été votées. Nous y reviendrons ultérieurement mais nous pouvons d’ores et déjà goûter à un autre fruit amer de l’unité nationale : la création des conditions d’un consentement majoritaire à la remise en cause des libertés démocratiques.
Ce n’est pas par la guerre impérialiste, la peur, l’humiliation, la répression hystérisée et la remise en cause des droits démocratiques que reculera le « terrorisme ».
Les mesures annoncées par le gouvernement ne s’attaquent à aucune des causes structurelles de l’émergence de postures nihilistes dans notre société : les inégalités sociales massives, les discriminations racistes systémiques, l’islamophobie humiliante, les contrôles policiers au faciès, les guerres pour le pétrole et les minerais stratégiques. Pourtant, Il n’y a aucune autre solution sérieuse que celle de s’attaquer aux causes réelles car sans justice, il ne peut jamais y avoir de paix.
Les mesures annoncées par le gouvernement ne s’attaquent à aucune des causes structurelles de l’émergence de postures nihilistes dans notre société : les inégalités sociales massives, les discriminations racistes systémiques, l’islamophobie humiliante, les contrôles policiers au faciès, les guerres pour le pétrole et les minerais stratégiques. Pourtant, Il n’y a aucune autre solution sérieuse que celle de s’attaquer aux causes réelles car sans justice, il ne peut jamais y avoir de paix.
Notes :
1. Le concept d’arôme idéologique immédiat est proposé par Gramsci dans ses Cahiers de Prison au sein de son approche de l’idéologie. Voir dans notre Dictionnaire des dominations de sexe, de race, de classe, Syllepse, Paris, 2012, pp. 46-49.
2. Sous la forme d’une présentation essentialiste des cultures africaines comme marquées par la non historicité, le tribalisme, l’ethinicisme et une « culture de la violence ».
3. Hubert Deschamps, L’héritage de Léopold, dans Jean Ganiage et Hubert Deschamps, L’Afrique au XXe siècle, Syrey, Paris, 1966, p. 453.
4. http://www.vie-publique.fr/chronolo..., consulté le 18/01/2015 à 18 h 40.
5. Zaki Laïdi, Le Monde selon Obama, Stock, Paris, 2010.
6. Alain Gresh, D’étranges défenseurs de la liberté de la presse à la manifestation pour « Charlie Hebdo », Les blogs du diplo, http://blog.mondediplo.net/2015-01-..., consulté le 18/01/2015 à 20 h 48.
7. Maximilien Le Roy, dessinateur, interdit de séjour en Israël, Interview de Lucie Servin, l’Humanité du 28 octobre 2014.
8. Jean François Tétu, Les médias et le temps, figures, techniques, mémoires, énonciation, in les Cahiers du journalisme, n° 7, juin 2000, p. 84.
9. Manuel Valls à l’assemblée nationale le 13 janvier 2015.
10. Le Figaro du 9 janvier 2015
11. Défense Jean-Yves Le Drian, déclaration du 12 janvier 2015.
12. Yves Ternon, Guerres et génocides au XXe siècle, Odile Jacob, Paris, 2007, p. 315.
13. Libération du 19 janvier 2015.
14. Dominique Vidal, Sentiment, moralité et relation d’enquête. Un regard sur les femmes domestiques, in Vincent Caradec et Danilo Martuccelli (dir.), Matériaux pour une sociologie de l’individu : perspectives et débats, Septentrion, Lille, 2004, p. 216.
15. Said Bouamama, Le sentiment de « Hoggra » : discrimination, négation du sujet et violence, in Les classes et quartiers populaires, Editions du Cygne, Paris, 2009, p. 51.
16. Najat Vallaud Belkacem, le 14 janvier 2015, cité dans Médiapart du 20 janvier.
17. https://www.youtube.com/watch?v=qc0..., consulté le 21 janvier à 22 h.
18. Communiqué du Syndicat de la magistrature du 20 janvier 2015, http://www.syndicat-magistrature.or..., consulté le 21 janvier à 23h 20.
19. Communiqué de l’AFP.
Source :
Investig’Action
Said Bouamama est l’auteur de nombreux ouvrages dont "Figures de la libération africaine. De Kenyatta à Sankara", 2014 ; Femmes des quartiers populaires, en résistance contre les discriminations, des femmes de Blanc-Mesnil, Le Temps des Cerises, 2013 ; Dictionnaire des dominations de sexe, de race, de classe, Édition Syllepse, 2012 ; Les discriminations racistes : une arme de division massive,L’Harmattan, 2010 ; Les classes et quartiers populaires. Paupérisation, ethnicisation et discrimination, Éditions du Cygne, 2009 ; L’affaire du foulard islamique : production d’un racisme respectable, Le Geai bleu, 2004 ; Dix ans de marche des beurs, chronique d’un mouvement avorté, Desclée de Brouwer, 1994.
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