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20 novembre 2014
Aucune des raisons avancées pour faire la guerre en Afghanistan et puis pour y rester pendant plus de dix ans ne résiste à l'analyse.
Une riposte au 11 septembre ?
Aucun des pilotes kamikazes n’était afghan. Les attentats n’ont pas été revendiqués par les Talibans. La raison officielle de la guerre contre l’Afghanistan est que le gouvernement des Talibans auraient refusé d’extrader Ben Laden. En réalité, les Talibans refusent d’extrader Ben Laden, sans que leur soient données les preuves de son implication dans les attentats du 11 septembre. Rien de surprenant. C’est ce que n’importe quel pays aurait fait dans le cadre d’une demande d’extradition, l’Etat demandeur doit fournir un dossier qui démontre le fondement de sa demande. Rien d’inacceptable. Cependant les Etats-Unis ne donneront jamais suite à cette demande. Leur intention est d’attaquer l’Afghanistan, pas de faire du droit.
Preuve en est, lorsque, dans le discours de guerre à la Terreur du 20 septembre, Georges Bush déclare que les Talibans refusent l’extradition de Ben Laden, nous sommes la veille de l’annonce faite par l’Ambassadeur des Talibans au Pakistan que son gouvernement exige des preuves de l’implication de Ben Laden dans les attentats.
La guerre contre Al Qaeda ?
Les moudjahidines ont été formés par la CIA, Ben Laden a été un grand ami des Américains pendant 20 ans et était au Pakistan au moment de sa capture. De plus, on l’a vu, Al Qaeda peut redevenir une amie quand il s’agit de faire la guerre en Libye.
Chasser les Talibans ?
On négocie avec eux au Qatar en vue de les faire revenir au gouvernement.
Instaurer une démocratie ?
Jamais un gouvernement n’a été plus corrompu que celui d’Hamid Karzai. Le nouveau président Ashraf Ghani ne vaut guère mieux et son vice-président n’est autre que le tristement célèbre général Dostum, un des pires criminels de guerre du pays. (1)
Lutter pour les droits des femmes ?
La situation des femmes est intolérable, même avec la nouvelle constitution.
Lutter contre la drogue ?
La culture et le trafic d’héroïne n’ont pas cessé d’augmenter.
Aider le peuple afghan ?
La guerre humanitaire a fait des ravages en termes de crimes contre les civils.
Sécuriser le pays ?
Toutes les milices ont gardé leurs armes. Il est impossible de traverser le pays sans payer les miliciens ou les Talibans.
Empêcher une guerre civile ?
Les pires criminels de la précédente guerre civile siègent toujours au gouvernement. Aurions-nous tous été bernés, floués, trahis ? Nous a-t-on tout simplement menti sans vergogne pendant plus de dix ans ? Est-il possible que toutes les opinions publiques des dizaines de pays de la coalition aient été manipulées à ce point ? Il est intellectuellement difficile de l’accepter. Difficile d’admettre que des millions de gens aient été grugés.
Les neuf raisons avancées pour justifier la guerre et l’occupation de l’Afghanistan sont fausses, grossièrement mensongères, inacceptables.
La dixième raison, la vraie, quelle est-elle ?
Mais alors que diable allaient-ils faire dans cette galère ?
Parce que pour entrer en guerre et dépenser des millions dans un pays montagneux perdu au milieu de nulle part, ii faut bien avoir une raison ! Et une bonne raison.
Les raisons qui poussent les Etats-Unis à faire des guerres sont d’ordre économique. Tous les Présidents, démocrates ou républicains, voient leurs campagnes financées à coup de millions de dollars par l’industrie de l’armement. Ce riche lobby attend bien évidemment une contrepartie : l’assurance que les dépenses militaires ne cesseront d’augmenter pour le profit de leurs heureux actionnaires.
Un lobby idéologique existe aussi. Des gens structurés entre eux, intelligents, influents, riches qui pensent réellement qu’imposer les Etats-Unis comme leader du monde par la force est une bonne chose. Les membres de think thanks comme Project for the New American Century ne sont pas seulement persuadés du bien fondé de leurs idées mais ils sont paranoïaques. Ils sont intimement convaincus qu’ils doivent sans cesse attaquer pour ne pas être attaqués. Les paranoïaques sont des gens dangereux puisqu’ils pensent sincèrement devoir se défendre contre des dangers inexistants.
Tout cela est vrai pour toutes les guerres menées par les Etats-Unis. Cela n’explique pourtant pas pourquoi l’Afghanistan.
Perdu au milieu de nulle part ?
En grande partie désertique, parsemé de pierres, poussiéreux, l’Afghanistan est un pays magnifique par son aspect rude et inviolé. Mais l’Afghanistan est pauvre. Son sous-sol renferme bien des richesses non exploitées. Les mines de Badakhshan sont la première source de lapis-lazuli au monde ; on trouve aussi des gisements de saphirs, émeraudes et rubis, ainsi que d’autres pierres semi-précieuses aigues-marines, saphirs étoilés, etc....
L’exploitation des richesses naturelles du pays par un gouvernement soucieux du sort de ses citoyens pourrait sortir le peuple afghan de la misère. Toutefois au niveau macro-économique, ces richesses sont infimes et n’expliquent pas les dépenses colossales engagées dans la guerre. Si en Irak, les concessions pétrolières faites aux multinationales ont pu faire rentrer les Américains dans leurs frais, si je peux m’exprimer ainsi, la guerre en Afghanistan coûte et coûte bien plus que ce qu’elle peut rapporter.
Pourquoi vouloir à tous prix rester dans ce pays, somme toute, inhospitalier ? Pourquoi cette opération si peu rentable ?
L’hypothèse qui est la mienne est que l’Afghanistan n’est justement pas « perdu au milieu de nulle part ». Il a des frontières avec la Chine et l’Iran, avec le Pakistan et l’Ouzbékistan. Il est le cœur de l’Asie. Plus précisément l’Afghanistan est au centre de l’organisation de coopération de Shanghai.
L’organisation de coopération de Shanghai
La plupart des gens n’en ont jamais entendu parler. Pourtant en 2001 une organisation intergouvemementale régionale asiatique a été créée. La Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan ont pris la décision de coopérer ensemble.
Selon la charte de l’OCS, les missions majeures du bloc consistent à renforcer la confiance et le bon voisinage au sein des pays membres, développer la coopération dans divers domaines, surtout les domaines politique, économique, scientifique, culturelle, éducative, énergétique, du transport et de la protection de l’environnement, maintenir la paix et stabilité régionales, promouvoir la création d’un nouvel ordre politico- économique international caractérisé par la démocratie, la justice et la rationalité.
Un début qui ressemble à si méprendre aux débuts de l’Union européenne. Très vite d’autres pays s’associent au processus comme observateurs : la Mongolie (en 2004), l’Inde, l’Iran et le Pakistan (en 2005).
Imaginez si ces pays parvenaient à une entente économique, si la région connaissait une paix durable grâce aux traités d’entente entre les armées, s’ils avaient l’idée saugrenue d’une monnaie unique... Les puissances économiques les plus importantes de la planète, les pays émergents les plus dynamiques, se mettent ensemble et défient l’Occident. Sur son terrain, avec son arme : l’argent.
Si cela devait arriver, les économies américaines et européennes s’écrouleraient. L’émergence de l’organisation de coopération de Shanghai signifie ni plus ni moins que la fin de l’hégémonie occidentale telle que le monde la connaît depuis les Empires coloniaux. Le début d’un nouvel ordre politico-économique international, comme stipulé dans la charte.
C’est cela que les Etats-Unis et les Etats de l’Union européenne veulent à tous prix empêcher. Les empires sont prêts à tout pour ne pas s’effondrer. A livrer une lutte sans merci. C’est cette guerre-là qui se joue en Afghanistan.
Sur la carte l’Afghanistan est comme une tache au cœur de l’Asie. Le seul pays qui ne fait partie ni des membres ni des observateurs de l’Organisation de Shanghai. En plein milieu.
Ni les Américains, ni les Européens ne veulent gagner cette guerre. Ils ne cherchent même pas à remporter la victoire. Ce qui leur faut c’est un foyer d’instabilité permanent au cœur de l’organisation de Shanghai. Un facteur de déstabilisation de l’ensemble de la région. Une dictature amie qui accepte sur son sol des bases américaines et des missiles à portée de l’Iran, de la Chine, de la Russie, de l’Inde.
Un accord a déjà été signé entre le gouvernement afghan et les Etats-Unis pour la mise en place de bases militaires jusqu’en 2024.
Noam Chomsky, interrogé par de jeunes pacifistes afghans a propos du projet de bases américaines, a répondu : Sans aucun doute, le gouvernement américain a l’intention de maintenir un contrôle militaire effectif sur l’Afghanistan par un moyen ou un autre, par un Etat client avec des bases militaires, et le soutien à ce qu’ils vont appeler les troupes afghanes. C’est le modèle ailleurs. Ainsi, par exemple, après avoir bombardé la Serbie en 1999, les États-Unis ont maintenu une énorme base militaire au Kosovo, ce qui était le but des bombardements. En Irak, ils sont encore en train de construire des bases militaires, même si il y a une rhétorique à propos de quitter le pays. Et je suppose qu’ils vont faire la même chose en Afghanistan aussi.
Une hypothèse qui explique beaucoup de choses
Bien sûr ce n’est qu’une hypothèse, mais elle explique bien des choses. Elle explique pourquoi les Talibans ont continué à être financés par les Etats-Unis eux-mêmes, via le racket ou via l’Arabie Saoudite. Quand on veut gagner une guerre, on empêche son ennemi de recevoir le moindre dollar. On ne tolère pas qu’ils s’approprient les millions qui lui servent à continuer l’insurrection.
Cela permet aussi de comprendre pourquoi les milices n’ont pas été désarmées, pourquoi tous les Afghans ou presque peuvent circuler lourdement armés, pourquoi les criminels de guerre ne sont pas jugés. Aucun être sensé ne peut imaginer construire une paix durable dans des conditions pareilles.
Comment expliquer les milliards de dollars que coûte cette guerre perdue, les millions de dollars d’aide humanitaire qui n’ont pas empêché un tiers de la population afghane de vivre en-dessous du seuil de pauvreté absolue ? Pourquoi tout cet argent gaspillé, pour gagner les cœurs et les esprits ? Tout en Afghanistan semble incohérent. Sauf si on admet que le but n’a jamais été de gagner.
Les principaux acteurs de la pièce n’en connaissent pas le scénario. Les jeunes recrues américaines, abruties de jeux vidéos, croient à la guerre contre le terrorisme ; les rebelles afghans, perdus dans leurs clivages ethniques et leurs rivalités claniques ignorent que dans leur pays se jouent le sort du monde au 21ème siècle. Ni les uns ni les autres ne savent pas qu’ils sont tous là pour empêcher un nouvel ordre politico-économique international de voir le jour.
Et nous tous nous avons été trahis. Nous avons plaint les femmes afghanes, honni Ben Laden, pleurer les morts des tours jumelles... Nous avons posé la question de savoir quand cette guerre allait se terminer. La réponse est jamais. Tout a été mis en place pour que cette guerre ne finisse jamais.
L’Afghanistan doit rester un foyer d’instabilité au cœur de l’Asie. C’est de que veulent ceux qui agissent dans l’ombre et manipulent les opinions publiques. Tout a été prévu, calculé. Tout sauf la fatalité. La fatalité qui veut que l’Afghanistan soit le fossoyeur des Empires...
Source : Investig’Action
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